Tribal Boundaries in
the Nass Watershed. Neil J. Sterritt, Susan Marsden, Robert Galois, Peter
R. Grant et Richard Overstall, UBC Press, Vancouver 1998, 332p.
En Colombie-Britannique, comme au Québec, ce n’est que tout récemment que les traités sont entrés en vigueur chez les Premières Nations. Cependant, les questions concernant la propriété du titre de la terre, les limites et la nature de ce titre, ainsi que la manière dont les nations voisines partagent le titre ou en ont l’exclusivité demeurent encore irrésolues. La carte des Premières Nations impliquées dans ce processus est d’une complexité impressionnante. En effet, on dénombre actuellement en Colombie-Britannique cinquante et un groupes s’auto-définissant étant engagés dans le processus de négociation de traités avec les gouvernements provincial et fédéral. Certaines de ces Nations sont des Bandes, comme le définit la Loi sur les Indiens, alors que d’autres sont des Conseils Tribaux ou des organisations parapluies négociant des traités pour le compte de plusieurs communautés autochtones. La carte des territoires revendiqués dans ces traités, contrairement aux cartes ethnographiques et géographiques régulières, n’est pas un assemblage de lignes claires et distinctes, mais plutôt un ensemble de cercles comprenant plusieurs frontières superposées ainsi que des régions d’espaces blancs, représentant silencieusement les communautés ayant choisies de ne pas s’engager dans ce processus. Le point central de ce livre est de résoudre les problèmes liés à une partie de ces revendications territoriales se chevauchant que l’on retrouve entre les nations Gitksan, Gitanyow et Nisga’a. Écrit par les chercheurs ayant préparé une partie importante des témoignages pour la nation Gitksan lors du cas de Delgamuukw, les auteurs protestent contre les revendications massives des Nisga’a, chevauchant celles de leurs voisins les Gitksan et les Gitanyow.
Il est d’abord
important de mentionner le contexte politique contemporain dans lequel ce livre
fut écrit. La nation Nisga’a est la première communauté a avoir finalisé
les négociations du traité effectué avec les gouvernements provincial et
fédéral, et qui sera ratifié cette année. Les Nisga’a ont réclamé par ce
traité leurs territoires traditionnels, situés dans le bassin hydrographique de
la rivière Nass au Nord-Ouest de la Colombie-Britannique, ainsi qu’un
arrangement leur attribuant un gouvernement autonome leur permettant de gérer
plusieurs des ressources du bassin. Parmi les autres communautés pour qui ce
traité sera significatif, les nations Gitksan et les Gitanyow, voisines des
Nisga’a, sont les plus directement concernées. Les Gitksan, comme les
Nisga’a, se sont unifiés politiquement afin de mettre de l’avant leurs
revendications pour l’obtention du titre de la terre et la reconnaissance de
leurs droits aborigènes. Les Gitanyow, partageant l’héritage linguistique et
culturel des Gitksan, forment pour leur part une petite organisation
indépendante politiquement ayant ses propres revendications dans le processus
d’élaboration de traités en Colombie-Britannique. Les revendications des Nisga’a
posent un problème majeur pour les Gitksan et les Gitanyow puisque leurs
communautés et leurs territoires traditionnels se trouvent aussi dans le bassin
de la rivière Nass. Étant donné que le traité des Nisga’a se veut être
un règlement complet et définitif des titres aborigènes dans cette région, les
Gitanyow et les Gitksan risquent d’être aliénés des terres qu’ils revendiquent
depuis toujours.
Ce livre est une
protestation directe contre les revendications territoriales faites par les
Nisga’a, et prend la défense des ‘frontières tribales’ des Gitksan et
des Gitanyow telles qu’établies dans leur histoire orale. Ce livre présente les
histoires orales comme étant la fondation établie dans le common law en
ce qui concerne les revendications pour le titre à la terre. Les auteurs
s’appuient ainsi sur les précédents légaux établis par la décision fondatrice
de la Cour Suprême du Canada de 1997 dans le cas de Delgamuukw, ayant clarifié la nature de la propriété
terrienne autochtone ainsi que la manière dont ce titre peut être justifié par
l’utilisation d’histoires orales lors de la présentation de la preuve.
Les auteurs ne
tentent pas de s’appuyer sur les vieux arguments anticolonialistes, concernant
la manière dont les terres des Gitksan et des Gitanyow ont été volées par
l’État, ou comment celui-ci n’a pas tenu compte de leurs intérêts dans
l’arrangement fait avec les Nisga’a. Sterrett et al avancent
plutôt que les Nisga’a ont commis une violation majeure de la loi
autochtone en basant leurs demandes sur une si grande partie du territoire,
dont ils savent qu’il n’est pas leur. Cette loi autochtone, d’où émerge la
tradition toujours présente de se rappeler et de raconter l’histoire de la
propriété de la terre (adaawk), de marquer sur les totems la
propriété terrienne des maisonnées et de valider la tenure de la terre lors des
potlatchs (yukw) où toutes les personnes concernées sont témoins, est la
même qui fut reconnue, validée et incluse dans le common law par la Cour
Suprême à Delgamuukw. L’argument central du livre, s’opposant aux
demandes des Nisga’a, est basé sur les nombreuses évidences concernant
les droits sur la propriété terrienne (adaawk) des Gitksan et des
Gitanyow provenant de la tradition orale. Les adaawlain k présentés sont supportés par
une revue détaillée de données écrites et cartographiques sur la propriété
terrienne et les frontières tribales dans le bassin de la rivière Nass. Ainsi,
ce livre est extrêmement important puisqu’il précise comment les histoires
orales doivent être présentées afin d’avancer un énoncé concret concernant les
titres et droits aborigènes dans l’ère post-Delgamuukw au Canada. Avec
la publication de ce livre, les académiciens travaillant au sein d’autres
communautés autochtones où les droits et tires aborigènes sont des questions
importantes pourront maintenant profiter d’un travail de recherche de niveau
supérieur sur lequel s’appuyer dans la mise en place des principes de common
law autochtone.
Il est important de
considérer dans l’évaluation de ce texte comment la tenure de la terre est
théorisée. La loi des Gitksan-Gitanyow / Nisga’a est présentée de
manière à soutenir que l’existence d’un adaawk prouve la
propriété de terres spécifiques nommées dans l’histoire. La toponymie est
cruciale dans le adaawk raconté, elle lie les histoires
mythologiques à des régions spécifiques possédées sur le terrain. Les potlatchs
(yukw) se tiennent afin de formaliser la reconnaissance de ces droits de
propriété ainsi que pour permettre leur contestation. Dans le livre, les
adaawk sont présentés comme étant des déclarations claires de la
propriété de la terre depuis la période postglaciaire, alors que les ancêtres
des clans, des maisonnées et des villages d’aujourd’hui se sont installés sur
les terres inoccupées, étape suivie par trois périodes de mouvements et de
guerres, desquels a résulté la structure de propriété terrienne actuelle. Les
nouveaux territoires pouvaient alors être revendiqués de deux manières.
Premièrement, les terres considérées comme abandonnées lors de la migration
furent laissées libres à de nouvelles propriétés. De plus, les terres pouvaient
être cédées à un autre groupe en tant que rétribution pour des guerres perdues
ou comme compensation pour un service rendu à l’intérieur d’un clan. Un tel don
de terres devait être formellement reconnu lors d’une cérémonie spéciale
confirmant la cession de terre (xsiisxw) donnée lors d’un potlatch. Aucun transfert de terres
ne pouvait prendre place sans un xsiisxw reconnu de tous. Les terres
détenues par une maisonnée devaient, en principe, avoir une permission
d’utilisation et étaient défendues de passage, tant pour certains voisins que
pour les Européens. Les alliances maritales permettaient l’accès à la terre,
mais non pas la détention de son titre. Bien que les auteurs établissent
souvent ces principes de manière problématique en tant que ‘loi indigène’ ou
‘loi de la côte Nord-Ouest’, ceux-ci émergent des traditions locales et sont
supportés par les données ethnographiques des Gitksan / Nisga’a. De
nombreuses et excellentes cartes montrent d’ailleurs les territoires,
frontières et évidences des toponymes recensés. Les adaawk
présentés proviennent de vastes échantillons de données historiques et
contemporaines, démontrant ainsi la continuité du contenu des histoires de même
que le contexte de l’établissement du règlement de propriété terrienne.
Sterritt et al démontrent donc qu’ils n’inventent pas des traditions
autochtones.
En établissant les adaawk,
les auteurs ont fait le travail remarquable d’utiliser ces histoires provenant
de sources nombreuses et diverses, en passant par de vieux textes
anthropologiques, à des transcriptions de cour, jusqu’aux notes de terrain de
chercheurs, d’où émergent des énoncés concis sur la propriété terrienne et
leurs frontières. Afin de pallier certaines incohérences, les auteurs
fournissent d’amples détails sur le contexte historique et ethnographique des
Gitksan et des Gitanyow afin de mieux comprendre leur place au sein du système
de tenure autochtone. De plus, les auteurs supportent la position des
Gitksan-Gitanyow par la présentation de registres historiques concernant les
frontières respectives crées par les communautés Gitksan, Gitanyow et Nisga’a
et qu’elles présentèrent aux autorités coloniales canadiennes et européennes
afin de conserver la propriété et le contrôle de leurs terres. Par exemple, le
livre offre aussi une série de cartes remarquables datant du début du 20ème
siècle. Celles-ci furent produites par les Gitksan où ils y expriment en des
termes concrets pour les colonisateurs, en utilisant les outils de ces derniers
plutôt que le potlatch, les frontières revendiquées dans les adaawk.
Enfin, d’autres données importantes présentent quelques témoignages présentés
par les Aînés Gitksan lors du procès de Delgamuukw. Dans le cas de cette
évidence contemporaine, les liens généalogiques entre les personnes ayant
enseigné les histoires sont soigneusement notés dans un genre de ‘notes de bas
de page culturel’ établissant leurs autorités respectives.
La prise en compte
par les auteurs de ces nombreuses évidences démontre que les déclarations
antérieures des Nisga’a, incluant les évidences présentées par les Nisga’a
lors de l’importante revendication de terres du cas Calder au début des
années 1970, sont cohérentes avec les déclarations contemporaines et
historiques des Gitksan et des Gitanyow. Cependant, les récentes revendications
faites par le Conseil Tribal des Nisga’a sont encore plus importantes.
En effet, après avoir augmenté à deux reprises depuis 1979 la superficie du
territoire réclamé, les Nisga’a réclament aujourd’hui tout le bassin de
la rivière Nass. Les auteurs avancent donc que le problème de chevauchement des
revendications de territoires peut avoir émergé parce que les Nisga’a
ont (1) basé leurs revendications actuelles sur une expression ambiguë contenue
dans une pétition des Nisga’a de 1913; (2) ont avancé faussement que certaines
familles de Gitanyow ont amené avec eux leurs titres de propriété sur la terre
lorsqu’elles se sont établies dans un village des Nisga’a au début du 20ème
siècle; et (3) n’ont pas reconnu la terre qui fut donnée aux Gitanyow lors d’un
xsiisxw (réparation de guerre) en 1861 par leurs voisins les Tsetauts.
En adressant ces
arguments à l’extérieur du contexte d’un potlatch, les académiciens Gitksan ont
donné une considération sérieuse aux fondations et au contenu du common law
autochtone. La publication du adaawk dans une publication
académique considérée par leurs pairs poursuit la tradition du potlatch, qui
requière des témoins (les lecteurs) aux revendications faites par les autorités
(les critiques) pour valider ou contester les revendications. Toutefois, une
publication académique n’est pas un potlatch. En effet, contrairement aux
contestations orales survenant lors d’un potlatch, personne ne peut se ‘lever’
du texte afin de contredire ce qui a été écrit. De plus, les implications de la
codification des traditions autochtones en tant que loi ne sont pas
considérées. Par exemple, il a été formellement établit que seul le droit
d’usage de la terre, et non pas le titre de la propriété, peut être transféré
lors d’un mariage; cet élément fut cité en tant que fait, mais sans toutefois
être supporté par d’autres témoignages ou évidences. Cependant, en apparente
contradiction avec ce qui précède, les auteurs cèdent aux Nisga’a une
petite région de chevauchement qui sur la base d’intermariages n’est pas la propriété
d’un groupe ou de l’autre (p.168). Cette question me mène à m’interroger sur la
manière dont la tenure de la terre est mise en relation avec le genre et la
manière dont ce point fut passé sous silence dans le livre, ainsi que dans la
majorité des ouvrages de recherche de la côte Nord-Ouest du Canada.
Finalement, nous
nous retrouvons face à la question de savoir jusqu’à quel point le traité des
Nisga’a chevauche les terres des Gitksan et des Gitanyow. En terme de
tenure de terres actuelles, le règlement final des Nisga’a ne mentionne
que six petites terres en fief simple à l’intérieur de la région revendiquée
par les Gitanyow, le reste de la terre comprise dans le règlement se trouvant à
l’extérieur du territoire des Gitksan et des Gitanyow. Cependant, le traité
stipule que les Nisga’a ont l’autorité sur la gestion de la faune et des
quotas de pêche à l’intérieur du bassin hydrographique de la rivière Nass, ce
qui en principe peut amenuiser les aspirations des Gitksan et des Gitanyow à
former un gouvernement autonome. Éventuellement, les Gitksan et les Gitanyow
devront négocier dans le cadre d’un forum politique afin de résoudre ces
problèmes. Ce livre est un pas vers l’atteinte d’un règlement juste pour tous.
De plus, ce livre tire aussi son importance de la contribution qu’il fait à la
compréhension du common law autochtone, basé sur la tradition orale et
les pratiques coutumières, lorsqu’articulé dans une tribune contemporaine
textuelle. Ce travail est extrêmement important en ce qui concerne les questions
de traitement de la tenure des terres autochtones, celles de méthodologie
reliées à l’utilisation de la tradition orale, de même que lorsqu’il s’agit de
questions liées au règlement politique des relations contemporaines que les
Premières Nations entretiennent avec la terre. Quiconque travaillant ou se
questionnant sur les problèmes de droit et de titre autochtone ne devrait
ignorer ce livre.